Après une discussion houleuse avec une de mes collègues de travail sur la vision fantasmée que pouvait avoir les popaas (les blancs) de Polynésie, après m'être rendu compte que notre blog, aussi joli soit-il, donnait une vision un peu idyllique du fenua, je me suis dit que je devais aussi vous décrire la Polynésie de manière un peu plus réaliste. Je n'ai pas la prétention de parler de la Polynésie comme le ferait un journaliste d'investigation, encore moins de me poser comme un sociologue ou un historien ; simplement vous faire partager un peu de ma vision de ce pays aux multiples façettes et à l'histoire complexe.
Pour commencer, on peut déjà faire une différence marquée entre Tahiti-Moorea-Raiatea, trois îles sur lesquelles se concentre 80% de la population, et le reste de la Polynésie.Ce déséquilibre existant depuis toujours, s'est accru de manière disproportionnée dans les années 1960, avec le CEP (Centre d'Expérimentation Polynésien (sur le nucléaire)) période ou les besoins en main d'oeuvre ont créé une migration vers Tahiti (des polynésiens et des métropolitains) qui est devenu un point d'encrage de la société occidentale. S'en est suivi une période de dévelopement industriel avec un afflux important de capitaux venant de Métropole, un vérouillage politique et une répression culturelle. A l'issue de cette période, après la fin du programme nucléaire (souvenez-vous, les derniers essais nucléaires de Chichi) dans les années 1990, on se retrouve dans un pays dont les strucures sociales ont été complètement refondues, attaquées dans ses fondements culturels, qui sur le plan économique est complètement dépendant de l'aide Française et importe 80% de ses produits manufacturés et alimentaires. En dehors du tourisme dont je reparlerai plus tard, les gouvernements successifs n'ont pas favorisé le developpement d'activités à fortes valeurs ajoutées pouvant assurer une certaine autonomie. On citera quand même l'industrie de la perle qui a surtout profité à quelques grands magnas, ou encore celle de la vanille longtemps laissée à l'abandon, qui redémarre doucement ces dernières années.
Pour ce qui est de l'agriculture et de la pêche, l'ensemble de la production est consommé sur place (en dehors d'une exportation de thons, mais qui est dérisoire face aux navires usines japonais) et comme on l'a dit, la majorité des produits alimentaires sont importés principalement des Etats Unis, de Nouvelle-Zélande et de France. Ceci explique en partie la vie chère.
En effet, il ne fait pas bon être pauvre en Polynésie, car le coût de la vie y est très élevé. Il s'agit d'un des sujets les plus épineux sur le fenua. En effet, entre l'arrivée massive de retraités français, dont la pension est indexée à hauteur de 1.84, l'afflux de riches touristes américains et japonais, l'euro cher (le franc pacifique est directement indexé sur l'euro) l'inflation a été trés importante ces dernière années. Cela a creusé l'écart entre une partie de la société, les Métropolitains aux rémunération indexées(dont je fais partie), les Polynesiens aisés, d'une part, et le Polynésien lambda d'autre part. En effet les spéculations immobilières ont littéralement fait flamber les prix, et les classes moyennes sont obligées de se loger loin de Papeete ou de s'entasser dans des quartiers peu enviables. On observe aussi ce grand écart dans la consommation courante, lorsque la chaîne Carrefour propose l'ensemble des produits de métropole à des prix exorbitants (à faire pâlir un mammouth). C'est ainsi qu'apparaissent les problèmes de surendettement majeur dont l'apothéose est l'achat de pick-up américains rutilants à 30 000 euros, qui finissent garés devant des maisons en tôles rouillées au fond de vallées bidonville (ils sont prêts à tout, ces banquiers, pour récupérer des terrains.)
Et oui, quelle surprise de découvrir des bidonvilles au dos de la carte postale, en général bien au fond des vallées, là ou il n'y a pas de vue, pas d'air. Une partie de ces gens venu à tahiti dans les années 60, pour participer à la grande mutation menant à la métastase consumériste, vivent actuellement en marge de la société tahitienne. Ils regardent la société changer, sans trouver leur place. Il n'y a plus de travail pour tout le monde et encore moins pour les gens sans formation. Ils vivent entassés dans des fare (maisons) de fortune, n'ont pas forcément la possibilité d'éléver leurs enfant et tentent de leur offrir une meilleure vie en les faisant adopter par des proches ou des popa'a. Ils vivent en partie de la pêche et de la cueuillette. Ils rêvent de posséder, possèdent parfois, à crédit. C'est là que ce concentrent tous les drames de la société tahitienne, les violences, le plus souvent intra familiales, parfois inouies, souvent faite au femmes; l'inceste, l'alcoolisme, les maladies dont l'obésité et le diabète qui prennent des proportions insoupçonnable... bref le désespoir. A l'hôpital, je suis en contact tous les jours avec ces gens, et malgrés tout j'ai du mal à imaginer leur vie. Surtout qu'il n'y a pas d'aide sociale en Polynesie, pas d'assurance chomage, pas de RMI alors s'il vous plait, pas de : « ces assistés qui vivent sur le dos de la France qui travaille » et tout le tralala.
Là, je crois que j'ai déprimé tout le monde, ne vous inquiétez pas trop, l'éclaircie se profile au loin, enfin pour ça il faudrait que la politique locale change du tout au tout. Pour vous faire un point rapide, avant il y avait Gaston (Floss, à la botte de Chichi) qui n'a pas fait grand chose pour engager les mutations de la société tahitienne nécessaires à son autonomisation vis à vis de la france (volontairement?). Après il y a eu Oscar (Temaru à la botte de sa propre pomme) qui prônait une indépendance totale vis à vis de la France, avec un bonne dose de poujadisme. Maintenant il y a Gaston iti (Tong Sang dit aussi Gaston le petit, fils spirituel de Gaston (l'autre)) qui doit tenter de gouverner avec une assemblée bloquée, qui tangue de l'autonomisme vers l'indépendantisme au grés des vestes réversibles des îliens (les élus des îles, ceux qui sont au miyeu). Au passage, tout le monde a pioché, la France a arrosé, selon. Bref le bordel. La gabji de l'aide française. Le gachis.
Enfin ne dressons pas un tableau trop noir de la colonisation, la présence française a sans doute apporté beaucoup à la Polynesie si on se place dans le contexte de la mondialisation actuelle et du modèle culturel occidental, et notamment :
- le développement de toute les infrastuctures nécessaires au developement économique et social: les routes, la voirie, l'éléctricité, le téléphone, bientot l'adsl dans pratriquement toute les îles;
- le développement des transports aériens qui est finalement trés récent (fin des année 90) et qui est un facteur de liens nouveaux entre les îles, les familles et change en profondeur les rapports entre elles.
- Je parlerai plus longuement du système de santé, qui malgrès ses nombreux defaults (quel système n'en a pas) et son déficit récent est étonnant pour plusieures raisons: déjà la qualité des soins prodigués est tout a fait comparable à celle observée en métropole, le niveau technique et les compétences regroupés au sein de l'hopital territorial n'ont rien à envier à un hopital métropolitain, le maillage du territoire par les medecins libéraux parait suffisant, l'accès au soins primaires gratuits est rendu possible par l'existence de nombreux dispensaires, l'hospitalisation est gratuite. On notera quand même un accès au médicaments difficile pour une partie de la population, et l'insuffisance de prévention sur des sujets majeurs ici que sont, l'alcoolisme, l'obésité, le diabéte, le tabagisme....Fait extraordinaire quand on se replace dans le contexte de 200 îles réparties sur une surface équivalente à celle de l'europe, c'est l'accès au soins d'urgences pour qui que ce soit si les conditions météo le permettent, le samu n'hésitant pas à dépêcher un avion à toute heure du jour ou de la nuit pour une suspicion d'appendicite à l'autre bout de la polynesie v(avec un côut financier énorme). On notera aussi l'existance de missions, lors desquelles, généralistes et spécialistes se déplacent dans toute la Polynésie pour améliorer l'accès aux soins.
Profitons-en pour reparler des îles et de ce qui les distingue, car les différences sont marquées, non seulement avec Tahiti mais aussi entre elles. Si on met Bora Bora et ses hôtels de côté, ainsi que la partie nord de Raiatea, on observe quand même de nombreux points communs. Une certaine paix, un rapprochement avec la nature dont les habitants jouissent avec simplicité, une vie assez douce il nous semble. Ne nions pas pour autant les nombreux problèmes que cela implique, le déficit d'accès au soins, la séparation des parents de leurs enfants pour des raisons de scolarité, l'isolement et l'ennui peut-être, les histoires de village qui peuvent prendre des proportions démesurées dans des microsociétés autarciques. Enfin, il faut bien prendre consciences des différences marquées qui existents entres les archipels que se soit dans leur mode de vie, leurs organisations sociales, leurs langues ou leurs cultures. L'exemple parfait en est l'archipel des Marquise au nord est de la Polynésie dont la langue est radicalement différente, où la majorité de la population est de confession catholique alors que le protestantisme domine l'ensemble des autres archipels (j'essaierai de motiver des collègues pour m'écrire un long article sur les Marquises, puisque nous n'aurons pas l'occasion d'y aller).
Un point commun entres toutes ses îles, la passion des polynesiens pour leur culture. La culture, quelque soit son expression, est pour moi le premier moyen de rassembler les hommes autour d'une identité commune. Et quelle belle culture que celle de la polynesie. Je croyait en arrivant de france, que les colliers de fleurs, les danses, la musique, les tatouages faisaient partie d'une sorte de décorum pour touristes à la recherche d'exotisme, quelle lourde erreur. Les polynesiens, si longtemps réprimés dans leur identité, sont maintenant passionnés par leur culture et en sont les premiers consommateurs. Ils suffit de les voir sourire quand ils dansent et vous avez tout compris. Il faut les voir se parer de coquillages, de fleurs, les entendre chanter... tout ça vous l'avez je l'espère bien compris en lisant nos articles tout au long de cette année. C'est bien-sur cet aspect des polynesiens qui représente leur plus grande richesse. Avec bien sur, leur gentillesse, leur simplicité, et tout le reste...
J'ai oublié de vous parler de milliers de choses, la religion par exemple qui joue le premier rôle depuis 200 ans et fait partie des fondamentaux de la société polynesienne. Mais comment tout vous dire en quelques pages et surtout comment tout comprendre, tout savoir en quelques mois ?
Vous l'aurez compris, on est loin de la carte postale, mais la photo reste belle, ils ont tellement d'atouts, il y a tellement de chose à faire ici. Nous repartons marqués par la Polynésie, tatoués au coeur. Une partie de nous restera ici, sur le fenua (terre en Tahitien), nous reviendrons en France chargés de mana. Nous laisserons trainer ici nos yeux, nos oreilles et sûrement un jour nos pieds, qui fouleront à nouveau le fenua.